Hommage à Robert - par Paul MASOTTA

 

Nous sommes réunis aujourd’hui dans la mémoire d’un homme que nous avons tous gagné à connaître, à fréquenter ou à croiser, ou que nous gagnerons d’en entendre parler ; nous sommes réunis par la grâce d’avoir fait la rencontre d’un homme remarquable.

Nous avons tenu à nous réunir ce soir car nous voulons nous souvenir, pour continuer de nous en inspirer, de l’inlassable action de Robert Volgringer, une action qu’il n’a jamais cessé de conduire dans un esprit de dialogue.

Cette action, action sociale, action éducative, avait un motif premier, on pourrait dire un motif infus, et lumineux, que je dirais être celui de l’Institution de l’enfant, selon une formule qu’il nous est arrivé de discuter. Cette action, il l’a conduite avec une « sainte » patience dans un esprit de dialogue, de mesure mais aussi de détermination ; ces traits sont d’autant plus admirables qu’il ne se leurrait aucunement sur le caractère de part en part polémique de la question de l’Institution de l’enfant.

Il savait aussi la pleine contiguïté de la protection et de l’éducation et le rôle majeur que l’action sociale se devait d’y tenir : l’une ne va pas sans l’autre et les deux ensemble composent les fils les plus solides de la cependant fragile trame démocratique. De tout cela, Robert, je le crois, était averti.

Son action, Robert ne l’a jamais conduite sans la penser, plus encore il ne l’a pas conduite sans la penser avec d’autres, sans s’instruire de la pensée des autres, fût-ce dans la contradiction, voire de l’adversité : encore un trait rare et précieux aux fonctions de direction qu’il a longtemps occupées, ou plutôt servies – ce qui lui correspond mieux sans doute. Penser l’action, c’était la subordonner à la prudence, à la sagacité, au discernement, une action qui tient compte du possible sans s’y enfermer. Je m’appuie ici bien-sûr sur l’éthique à Nicomaque d’Aristote en identifiant Robert au Phronimos, du nom qu’Aristote donnait à celui qui faisait usage de la Phronesis, de la prudence dans l’action, qui se met en quête du bien de son action. Robert Phronimos donc.

La Prudence a la vertu de suspendre le jugement, d’ouvrir un espace qui le détache de la certitude. Elle nous met en demeure, en rabattant les savoirs préconçus, préformés dans le moule des certitudes reproductibles à l’envi, des savoirs calibrés pour en faciliter et diffuser l’usage normatif, de nous hisser à la hauteur de l’enjeu que commandent nos pratiques : cet enjeu, nous pouvons avancer que c’est celui de faire une place, d’ouvrir un espace aux mondes, aux dires singuliers. Mes discussions avec Robert ont bien souvent porté sur ces questions.

La certitude, celle du préjugé, du préconçu, je crois que Robert en connaissait les dangers, elle était identifiée, dans son vocabulaire, à ce qui nuit. La grimace exacerbée de la certitude, dans le cristal de sa « folie », a fait à nouveau effraction l’autre matin : c’est le tragique qui se rappelle à l’Histoire : le tragique a sans doute le visage grimaçant de la certitude qui dénie à tout autre sa contribution à la vérité. Aujourd’hui plus que jamais, les vertus qu’à mes yeux Robert incarnait, ces vertus cardinales qui toutes comptent avec le voisinage de l’autre, la prudence en tête, mais aussi la justice à son horizon mais également dans son sillage, et le courage pour que la parole ne soit pas vaine et vide, pour que ce qu’elle contient de promesse soit tenu, aujourd’hui plus que jamais ces vertus sont cardinales.

« D’abord ne pas nuire ». Avant toute chose ne pas nuire. Cette injonction que nous tenons de la bouche de Robert mériterait que nous nous y arrêtions longuement. Ne pas nuire, ne pas faire plus de mal que de bien aux enfants que nous sommes censés protéger, est précédé d’un adverbe qui est déterminant pour notre action. Avant tout, avant toute chose, en premier lieu a valeur de principe et c’est intangible ; ce n’est pas une option. Toute l’action doit être portée par ce principe sans lequel nous trahirions ce que notre action devrait instituer, autant que ce qui devrait l’instituer.

S’assurer, avant toute chose, de ne pas nuire, ce que Robert devait penser à notre portée, et ensuite élaborer, construire une pratique qui soit susceptible de rompre les pesanteurs stagnantes de la misère du monde.

 D’abord se détacher des certitudes grimaçantes, et, dans ce décollement, nous mettre à l’écoute de ce que Foucault nommait des savoirs locaux, des « savoirs mineurs » qu’il distinguait de la hiérarchisation scientifique des savoirs et de ses « effets de pouvoir intrinsèques » pour en dégager des « savoirs déssasujettis ».

Dès les premiers temps, Robert s’est joint à l’Epingle pour les motifs que je viens d’évoquer, qu’il partageait avec elle, et sa présence nous manque : nous en avions le goût. Le goût nous est resté. Sa parole nous reste aussi comme je le montrais à l’instant et comme nous en ferons la démonstration ce soir. Sa parole nous encourageait dans l’effort d’écoute qu’implique que nous définissions nos métiers comme métiers de la relation, autrement dit comme métiers « à portée de voix ».

Robert Volgringer soutenait cela ; le directeur le faisait avec courage, l’enseignant et l’éducateur avec prudence et justice.

 

Paul MASOTTA

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Robert Volgringer – ce que nous lui devons à l’UNAPP... - par Lise-Marie SCHAFFHAUSER

 

La rencontre ROBERT- UNAPP s’est faite via la bien nommée « Dessine-moi une passerelle » à Strasbourg. Une même attention au « bien-être » au « développement » à « l’environnement

relationnel des enfants et des parents offrant des occasions de rencontres, de découvertes et d’expérimentations avec des adultes concernés, capables d’entrer en relation sur une certaine

durée » a constitué le socle d’une collaboration extrêmement fructueuse pour le développement du parrainage dont les effets sont toujours au travail ...

Écoutons Robert, professionnel fort de plus de 40 années d’expérience et Vice-Président de l’UNAPP : Trop souvent, à vouloir protéger l’enfant, on assèche autour de lui toutes les formes de relations qui pourraient contribuer à le faire grandir. Dans la recherche des meilleures conditions leur permettant de se déterminer, nous avons repéré l’esseulement de beaucoup de

parents. Cette situation est rarement la résultante d’un choix personnel. L’idée a alors germé de proposer aux familles, parent(s) et enfant(s), d’édifier ensemble un «écosystème de protection». Il s’agissait de solliciter, parmi parents, voisins, connaissances, institutions ou associations, ceux qui pouvaient accepter de partager la préoccupation du devenir des enfants, de les mobiliser pour cheminer « avec » père et mère. Cette expérience de «socialité solidaire», m’a totalement convaincu de la nécessité de promouvoir auprès des parents une dynamique de lien social qui puisse s’inscrire dans un véritable processus de co-éducation tel qu’on entend

le parrainage de proximité à l’UNAPP.

Depuis une bonne dizaine d’années nous avons exploré ensemble les pistes les plus prometteuses pour le développement de solidarités d’engagements dans lesquelles s’inscrivent historiquement, culturellement, socialement et très concrètement les relations de parrainage tout en soutenant la diversité des acteurs, des actions, des collaborations. Robert a beaucoup mis « la main à la pâte » toujours avec le souci que nous lui connaissons d’écouter, de comprendre, de débattre, d’expliquer, de partager, de « penser » pour « agir », d’inventer en faisant des liens entre les savoirs, les « savants » et les « sachants »...La fermeté de sa pensée construite au fil du temps et des rencontres a forcé le respect, ouvert des portes sans rien céder à l’essentiel pour lui comme pour chacun de nous dans le respect de notre commune humanité.

Ces derniers mois, il a mis ses forces dans une recherche action préparée de longue date à l’UNAPP « Co-éducation éducation partagée : les ressources des familles et des entourages en protection de l’enfance » dont le cheminement, les constats et les préconisations doivent beaucoup à cette approche « écosystémique », soucieuse d’éviter les situations de discrédit que nous ne cessons d’explorer à l’UNAPP pour sortir des « inouïs ». Au moment de partir, il a pris soin au-delà des regrets de ne pouvoir aller plus loin, de faire le lien avec vous autres ses amis réunis dans « L’épingle » confiants dans notre volonté commune de poursuivre nos

engagements sur ce chemin emprunté avec lui.

 

Merci Robert pour cette fidélité, Merci Christiane, Nous savons bien ce que nous vous devons ...

Février 2022 Pour les membres de l’UNAPP – François Cholez, Marie-Thérèse Gendron, Sylvie

Leclerc, Lise-Marie Schaffhauser, Marie-Luce Thouvenin ...

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Ce que nous lui devons - contribution de l'UNAPP en hommage à Robert VOLGRINGER
UNAPP Robert Volgringer - Ce que nous lu
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En mémoire de Robert Volgringer - par Gilbert VINCENT

 

            Depuis quand ai-je connu Robert ? Il arrive que la qualité d’une relation rende assez superflue la question de sa durée. Je ne puis que dire : depuis longtemps ; ce qui équivaut à : « depuis toujours ». C’est pourquoi il me manquera à jamais ; comme à la plupart d’entre nous ; tant que nous serons en vie !

Je puis néanmoins évoquer certaines des circonstances dans lesquelles sa présence m’est apparue tout à fait marquante.

Présence, d’abord, dans le cercle « informel » - chose bizarre ! – que, à plusieurs, nous avions formé durant plusieurs années, cercle où nous débattions de questions d’éducation, à partir de nos pratiques comme à partir de ces autres rencontres que sont les lectures. Robert a été fidèle ; d’une active fidélité, partageant ses trouvailles, ses convictions et, tout autant, ses hésitations. Esprit curieux, attentif aux avis d’autrui, il était tout sauf dogmatique. Aurait-il pu l’être, lui que les frontières disciplinaires n’impressionnaient pas ni n’arrêtaient ? De la philo à la psycho, de la socio à la littérature, il naviguait, acceptant les écarts mais non la dispersion ; car son cap était éthique. Sa question de fond : comment vivre de la justice et pour la justice et, plus précisément, pour que justice soit rendue à ceux dont la misère est redoublée par l’impossibilité de prendre la parole et d’être entendus ? Telle était le point de convergence de ses lectures et des réflexions qu’elles lui inspiraient.

Témoin, Robert ne faisait la leçon à personne. Il ne pérorait pas : il s’efforçait toujours de convaincre et, pour ce faire, de trouver le point par lequel il pouvait « toucher » autrui, éveiller sa sensibilité avant son intelligence. J’entends encore la voix de Robert : celle d’un homme soucieux d’éviter de braquer autrui en lui assénant quelque vérité supposé définitive. Et pourtant Robert, je le répète, ne manquait pas de convictions ; mais la première, chez lui, était certainement que c’est ensemble qu’il faut, autant que possible, s’approcher du vrai, que le respect est la condition de toute pluralité ; laquelle, comme l’avait si bien dit Hannah Arendt – dont Robert était un fidèle lecteur -, de la condition de toute vie commune sensée.

J’évoquerai une seconde rencontre : alors que, à la Jeep, nous réfléchissions sur la manière de contribuer, en tant que prévention spécialisée, à faire exister une authentique « communauté éducative », ce qui suppose que les susceptibilités institutionnelles – et associatives ! – soient dépassées, que les « prises en charge » ne soient pas à ce point segmentées qu’elles aboutissent à autant de « décharges », autant de discontinuités dans la vie de jeunes qui ont déjà tellement de mal à se reconnaître fils ou filles de …, nous avons invité Robert pour qu’il nous aide à comprendre le paysage institutionnel de la protection de l’enfance et à nous situer dans ce champ. Robert a accepté – « évidemment ! »-. Qui d’autre que lui pouvait nous rendre ce service ? Robert, ici comme ailleurs, a fait la preuve qu’il n’était pas l’homme d’une chapelle – si je puis comparer une association à une chapelle ! -, mais le partisan décidé de relations inter-associatives fortes, quasi fédératives. Il s’est montré convaincant en nous parlant d’écosystème relationnel. Et je crois que je ne me trompais pas lorsque j’entendais « éco », non au sens économique, mais au sens écologique, voire œcuménique. Car il s’agit bien, dans ces deux divers préfixes, de rien moins que de l’habitabilité du monde ; du monde comme « oikos », maison commune : une préoccupation malheureusement abandonnée depuis longtemps par l’économie telle qu’elle va, sans nous ou contre nous !

« Eco-système de relations » : Utopie ? Peut-être. Mais ce n’est pas faire injure à Robert que lui prêter des aspirations utopiques. Ces aspirations ne font-elles pas cruellement défaut, aujourd’hui ? Non seulement elles sont rares, mais encore il est devenu de bon ton de mépriser l’utopie, et de disqualifier ainsi tout comportement non conforme à la doxa utilitariste ! L’utopie, pour Robert, était certainement une boussole lui permettant de rester vigilant, critique même ; mais aussi de discerner les lieux et les moments où tenter de déjouer les mécanismes de la reproduction sociale. J’en viens ainsi à mon troisième souvenir marquant : Robert était engagé – depuis quand ? je ne sais – dans une association de parrainage de personnes handicapées et il m’avait invité à une rencontre nationale à Dieppe où, j’ai pu le vérifier, ici comme ailleurs, ses avis faisaient autorité, sans qu’il se départisse jamais de la modestie qu’on lui connaissait, ni de sa bonne humeur. Car Robert savait, dans des situations graves, face à des questions graves, garder sang-froid et sens de l’humour. Sans ce dernier, on ne tarde pas à désespérer et, désespérant, de rendre plus graves et moins solubles les situations graves et difficiles à résoudre.

En plus de son humour, quelle foi soutenait Robert ? J’ai quelque idée à ce sujet, mais n’en dirai rien, me sentant tenu de respecter sa propre discrétion.

Je conclurai d’un mot cette évocation, et ce mot est emprunté à Aristote, que Paul a commencé à citer : Robert illustre, à mes yeux, ce que peut être et faire l’amitié civique, dans laquelle le philosophe antique voyait la condition sine qua non de toute cité véritablement humaine. Civique, l’amitié recommandée par Aristote suppose la capacité de donner, le sens de la gratuité. C’est parce qu’il était généreux qu’il faisait bon rencontrer Robert, vivre à ses côtés ou savoir qu’il serait à nos côtés si nécessaire. De cela nous lui serons toujours reconnaissants. 

 

Gilbert VINCENT

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En mémoire de Robert VOLGRINGER
En mémoire de Robert VOLGRINGER - Gilber
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