ASSEMBLEE GENERALE du 1^er juillet 2021

RAPPORT MORAL

Plus de deux années nous séparent de notre dernière Assemblée Générale du 20 mai 2019.

Deux années vécues dans une atmosphère menaçante et incertaine ; menace et incertitude à portée de voisinage, jusque dans l’air que nous respirions : une proximité inédite que nous ne connaissions pas avec cette intensité.

La menace refluant – à ce sujet, les interprétations sont variables, souvent en tension ou contradictoires – nous voici réunis dans une même pièce. C’est une salle que nous connaissons bien pour la fréquenter régulièrement par amitié pour l’ASTU, par intime sympathie pour ses missions et la façon dont elle s’en acquitte, son impressionnante constance dans l’engagement professionnel, son exigence dans la construction de la pratique et le souci de vérité dans le compte-rendu de         ses « résultats ».

Je veux donc commencer par remercier l’ASTU d’avoir invité notre Association nomade et d’avoir accepté notre amitié.

Merci également aux membres de l’Epingle qui sont venus pour cette nouvelle Assemblée et que ceux qui n’ont pas pu nous rejoindre, à cause de la date tardive que nous avons choisie, nous pardonnent.

L’éloignement, les gestes barrières -formule si poétique rencontrée si fréquemment ces derniers mois- le port du masque, dont la levée récente n’a pas encore fait réapparaître le visage dans notre espace public, et le confinement ne nous ont pas engloutis dans l’oubli de notre cause.

Cependant, nos activités ont subi les effets de la sidération planétaire. Ainsi, nous avons dû reporter sine die notre Forum et on sait l’importance qu’il revêt pour notre Association et sa cause : l’Epingle trouve dans le Forum son lieu. C’est là que passent, se croisent et se décroisent les fils nombreux d’une tresse des pratiques cliniques, dessinant un motif qui, aperçu, s’estompe ou se fond à nouveau : tel le motif dans le tapis de la nouvelle éponyme d’Henry James si congruent avec l’idée que nous nous faisons de la dimension déterminante que prend la relation dans l’exercice de nos métiers ; celle-ci place la saisie du savoir mis en jeu dans la proximité et, paradoxalement, en éloigne ou en diffère la capture ou la clôture, en empêche l’arrêt. Faire, défaire et refaire à l’instar de Pénélope qui diffère l’appétit des prétendants trop prompts à conclure.

Patience, murmure le clinicien.

Qui sont donc les prétendants d’aujourd’hui qui nous trouvent bien hésitants, bien maladroits dans l’expression de nos pratiques, qui poussent à ce que nos récits empruntent le vocabulaire des compétences, de l’évaluation, du nombre et du tableau : que convoitent-ils les nouveaux prétendants qui moquent notre prudence, la suspension de notre jugement et ses précautions ou scrupules pour en faire irrésolution et absence de détermination. Du vocabulaire éthique, celui de la Prudence, celui qu’entendait Nicomaque, ils font déficit. Que convoitent les nouveaux prétendants ? Cela pourrait bien faire l’objet d’un prochain Forum de l’Epingle.

 Le Forum et sa conversation sont donc parfaitement congruents avec l’idée que nous nous faisons du savoir engagé dans nos cliniques, comme de celui qu’elles produisent. C’est un savoir en itinérance qui ne peut redouter ou, pour le moins, reculer devant le risque de l’errance, même aux temps bénis du GPS et des diverses procéduralisations invasives. Reculer ici, serait nous condamner à rester à quai, renoncer à lever l’ancre et abandonner l’ambition des explorateurs, des cartographes.

 La pratique relationnelle est une expédition pour laquelle il faut accepter de voyager léger, avec humilité, et compter avec l’hospitalité qui nous est faite. Chemin faisant, nous nous faisons aussi les secrétaires d’un savoir autre. La survie de ces voyages est essentielle : la survie de la question sociale est à ce prix.

Notre Forum n’a pu avoir lieu. Mettons, si vous le voulez bien, notre prochain Forum à l’horizon 2022 et voyons quelle question le réunira. Nous avions retenu celle de la responsabilité, en mettant l’accent sur les différents usages qui en sont faits, sur ses différents produits dérivés mis sur le marché, comme celui de la responsabilisation. Pour le souligner nous avions retenu pour thème : les ambigüités de la responsabilité ou bien la responsabilité et ses ambigüités. Il nous reviendra de dire si ce thème est conservé ou si nous lui en préférons un autre pour l’année à venir.

Nos groupes n’ont pas mis la clé sous la porte. On pourra regretter qu’ils n’aient pas prospéré comme nous l’aurions souhaité et comme nous y travaillons, mais nous pouvons nous réjouir que ceux qui existent réunissent des professionnels impliqués, réguliers, curieux et soucieux de maintenir, de restaurer ou encore d’explorer les conditions de leur pratique.

Un rapport sur chacun de ces groupes nous attend. Celui des samedis de l’Epingle, celui des pratiques en « milieu ouvert », celui de notre séminaire, et la présence importante de la chorale qui nous rappelle au chant, à la chanson, qui met en jeu le corps et réveille une tradition populaire qui ne saurait se perdre sans dommage.

C’est dire que : « le monde change » n’est pas un constat qui emporte notre adhésion sans mélange.

C’est une assertion qui ne se suffit pas à elle-même et ne justifie nullement que nos pratiques s’en trouvent disqualifiées, délégitimées sans que soit explicité ce changement et interrogées sa direction et sa valeur.

Ainsi, nous avons été engagés à marquer, de la modeste attache de notre Epingle, notre soutien aux étudiants, formateurs et professionnels qui ont manifesté leur désarroi et leur refus contre le cours dans lequel la direction de l’ESEIS et son association gestionnaire engageaient leur Ecole, un cours technocratique tout principiellement ordonné par un formalisme revendiqué, un pan-formalisme avoué qui ne laisse à la dimension clinique que la fonction décorative d’une cerise sans saveur sur un gâteau indigeste.

La clinique n’est jamais donnée. Elle ne sort pas tout armée, de la lance et du bouclier, du crâne de Zeus ; pas plus qu’elle ne sort de la cuisse de Jupiter. Elle n’est jamais identique à elle-même. Elle doit lever l’ancre et tracer son itinéraire dans un paysage dont elle ne connaît des éléments que ce que les précédents explorateurs ont consigné, éléments qui restent cependant méconnus avant que d’être approchés.

Freud écrivait dans une lettre à Ferenczi : « Je tiens qu’on ne doit pas fabriquer des théories ; il faut qu’elles déboulent dans notre maison comme des hôtes non invités pendant qu’on est occupé à des investigations de détail. »

Nous nous sommes reconnus dans l’improbation des étudiants et formateurs que le journal, les DNA, disait en colère ou dans la tourmente. Nous écrivions, dans un texte publié sur notre site, que dans cette « tourmente » s’exhale une querelle sur la question éducative et sociale qui a longtemps accompagné, de sa nécessité démocratique, la formation des travailleurs sociaux.

Permettez-moi de prolonger ici cette question ébauchée dans ce bref écrit qui n’était pas un texte d’humeur mais une modeste contribution à un indispensable manifeste pour une Ecole des métiers de l’éducation et du social.

J’y écrivais que le mouvement des étudiants, formateurs et professionnels, trop peu nombreux encore, était porté par l’intuition que l’objet du travail éducatif et social se rencontre au lieu même de la défaite de l’émancipation, de la déroute de l’autonomie, qui est aussi le lieu d’une faillite institutionnelle.

 « Le monde change », cela demeure.

Les métiers de l’éducation, ceux de l’instruction, les métiers du social ne se peuvent concevoir, dans une société démocratique, qu’aimantés par la question de l’égalité des chances. Ce sont des métiers qui obligent à une attention soutenue et obstinée à la singularité des situations de fragilité, voire de détresse qu’ils rencontrent. Ce sont des métiers qui vont à la rencontre d’une parole ignorée, non encore advenue, souvent inarticulée encore.

Cette parole est attendue. Elle est indispensable à la vie démocratique. Elle doit être attendue et soutenue, même lorsqu’elle se refuse. Et c’est le propre de la question sociale, c’est l’œuvre des enseignants, des soignants, des éducateurs, des travailleurs sociaux que de créer les conditions de son retentissement dans l’espace public : sans l’attente de cette parole que peut bien signifier le refrain du « vivre ensemble » ? : une invocation stérile et désolante parce qu’elle se sait telle !  

La parole en démocratie, celle de l’homme ordinaire, celle de l’homme de la rue, disait Frank Capra, est une affaire sérieuse, de première importance démocratique. Les Athéniens avaient forgé un mot qu’il faudrait faire entrer dans notre lexique usuel : celui d’Isegoria. Il désigne l’égale dignité de chacun, de chaque citoyen, à prendre la parole dans l’agora, l’égale dignité à s’exprimer publiquement (agorein). C’est une œuvre considérable, si délicate et complexe, que d’accompagner chacun de ceux à qui est refusée cette dignité de parole.

 La question sociale, telle que nous l’entendons, consiste à remédier à l’exclusion de la parole de ceux à qui elle est refusée par des voies savantes ou brutales, comme à ceux auxquels elle se refuse et d’aller au-devant de ceux qui, pour en avoir été privés, la rejettent. C’est là la tâche des travailleurs sociaux : ouvrir une perspective dans un paysage qu’une puissance écrase de sa bonne conscience et aplatit sous l’empilement des procédures normatives. En rendant de son éclat à l’égale dignité de parole que dit l’Isegoria, ils peuvent faire entendre une polyphonie concrète et vivante qui ne retentit pas assez dans les lieux de la parole publique.

 Ainsi ce que nous nommons la question sociale, c’est le visage dans lequel la démocratie se reconnaît. A ce visage concourent les métiers de la relation, tous ceux qui donnent son relief, sa perspective et ses couleurs à l’Isegoria.

Paul MASOTTA

Président de l’Epingle

Nous avons le plaisir de vous convier à la 3ème ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE de L’ÉPINGLE qui aura lieu le :

Jeudi 1^er Juillet à 18h dans les locaux de l’ASTU, au 12 rue du Hohwald, à STRASBOURG

Par votre présence, vous marquerez l’intérêt que vous portez à l’association et à ses activités.

Vous pouvez adhérer en ligne et consulter le PV de notre dernière AG (consultable et téléchargeable ci-dessous).

ORDRE DU JOUR

Approbation du PV de l’AG du 20.05.2019

Rapport moral 2019 et 2020 – approbation

Rapport d’activités 2019 et 2020 – approbation

Rapport financier 2019 et 2020 / Cotisations 2021 – approbation des comptes

Renouvellement du bureau 

Projets et réalisations 2021 et 2022 et points divers

Profitez de cette Assemblée Générale pour venir échanger avec nous, partager nos réflexions et prendre part à nos orientations.

Nous nous réjouissons de votre présence et vous proposons à l’issue de l’assemblée un temps de convivialité autour d’un verre de l’amitié.